Welcome to the crab's world..

C'était là un des rares voyages en mer qu'il avait été obligé de faire jusqu'à présent et il savait pourquoi. Les tangages à gauche et à droite qui lui retournaient l'estomac, l'humidité omniprésente qui irritait sa gorge ou encore les incessants cris de l’équipage aussi puissants que ceux d'un goret que l'on égorge qui l'empêchaient de fermer l’œil correctement.. Oui, c'était cela les plaisirs de la mer.

Prêtre à bord, il avait pour obligation d'écouter les confessions toutes aussi barbantes des jeunes marins.. Il profitait de la soirée pour rester dans ses quartiers, seul, afin de pouvoir méditer tranquillement ou lire des récits fantastiques que de vieux prêtres aigris qualifieraient d'hérétique.
Le cinquième jour de navigation, après une interminable matinée nauséeuse et peu ragoutante, Edwin décida de rester alité. Il parvint sans peine à s'endormir, plié en deux sur sa paillasse mouillée... La journée et la nuit qui passèrent lui semblèrent agités, des cris étaient légèrement perceptible mais il restait assoupi, mettant certainement ces voix sur le compte de la fièvre..

Les frissons ubiquistes partaient de son échine pour descendre jusqu'à ses jambes en passant par son torse trempé. Il fronça légèrement les sourcils et ouvrit difficilement ses yeux collant et attaqués par le sel. Il trempait sur la rive, la bouche dans le sable. Il cracha et toussa énergiquement de façon à se débarrasser du maximum d'arène. Il se rinça la bouche à l'eau de mer et nettoya son visage encore couvert de légers grains. Un peu perdu, il regarda difficilement les environs. Pas de traces du navire qui l'avait emmené. Il se leva et marcha dans le sable humide en longeant la mer. Sa soutane collait à sa peau, rendant le port de son vêtement bien peu agréable et entravant. Il la retira finalement et la plia grossièrement pour la poser avec négligence sur son épaule. Le soleil était de feu mais les grelottements restaient bien présents. Au bout d'une dizaine de minutes de marche, une silhouette imposante se dessina sur la berge. Il se servit de ses mains comme de cache soleil et parvint  identifier les contours de ce qui aurait put être un navire. Il accéléra le pas et arriva enfin à l'épave.

Il fouilla les restes de l'embarcation pour trouver un marin mais il ne trouva personne. Le bois était rongé par l'eau et le sel, les crabes et les coquillages s'étaient déjà approprié une grande partie du vaisseau comme s'il avait été présent sur cette plage depuis un bon moment. Il se racla sa gorge sèche et irritée et tenta de récupérer ce qu'il restait de ses affaires.. Il parvint à sauver une partie de la Bible, quelques pages de ses livres, de l'eau bénite mélangée à de l'eau de mer croupie et un peu d'huile sainte. Il enfouit le tout sans délicatesse dans une poche intérieur de sa soutane et décida de s'aventurer d'un air mou et penaud sur le pont.

Un craquement sourd, un cri étouffé, le bruit d'un vêtement qui se déchire. Le plancher venait de se fendre en une ligne droite coupant le bateau en deux parties bien distinctes. Edwin était tombé dans la faille, sa soutane s'était accrochée au bois et se trouvait désormais effilochée. Il grimaça et jura avec colère. Au diable l'Amérique si elle ressemblait à cela ! Il s'extirpa maladroitement de l'épave, écrasant un crabe avec dégoût malencontreusement. Il renfila son vêtement, remonta ses manches et s'enfonça un peu plus vers les terres. Il fronça les sourcils et plissa légèrement ses yeux clairs. En contre jour, il aperçut une silhouette humanoïde. Ses mirettes toujours un peu irritées par le sel ne distinguèrent pas le sexe de l'individu... Il s'approcha de lui en titubant un peu, ses pas étaient rendu difficile par le poids du sable qui collaient à ses pieds fatigués. Sa bouche était encore empatée par le manque de pratique et l’abasourdissement de la découverte de l'inconnu...

La plage...
Illuminé par le soleil, son sable fin et pale scintillait d'un éclat inimitable, presque intimidant. Revenir en ce lieu n'était pas sans évoquer quelques souvenirs à la jeune femme qui s'extirpait de la palmeraie de quelques pas agiles et rapides. Elle avait attaché succinctement sa lourde chevelure doré dans son dos et déjà, quelques mèches indisciplinées se faisaient un devoir de lui chatouiller le cou. Sa sacoche en bandoulière et sa robe ramenée à sa ceinture pour lui donner la forme d'une tunique lui donnait l'air d'une drôle de créature. Qu'importait ? Elle n'escomptait croiser personne en répondant à son petit désir personnel. Cela faisait tellement longtemps qu'elle n'était plus venue apprécier le spectacle éblouissant de ces eaux tumultueuses et saline, elle en vibrait presque d'excitation ! Non pas que l'envie lui faisait défaut auparavant, mais l'occasion ne s'était tout bonnement plus représentée suite aux événements de ces derniers temps...

Rapidement, l'odeur de l'iode ne tarda pas à venir lui chatouiller les narines et elle sourit sans trop savoir pourquoi. Dire que c'était ici que tout avait commencé. Danaé s'avança un peu plus loin sur la plage dont elle en apprécia la chaleur avant de s'interrompre. Songeuse, le sentiment d'insignifiance qu'elle ressentit soudain face à cette étendue colossale eut le don d'alléger tout poids de ses épaules. Elle se sentait bien ici. Inspirant longuement pour éviter qu'un rire incontrôlé ne jaillisse de ses lèvres, elle leva le visage vers le ciel en fermant les yeux. Ce n'est qu'après quelques soupires qu'elle rabaissa finalement son petit nez pour venir caresser l'horizon du regard. Là, elle se dit qu'elle aurait pu oublier tous les dangers de l'ile, se mettre à courir sur le sable et se jeter nue dans les flots glacés.
 
Au lieu de quoi, elle se baissa et ramassa une poignée de sable qu'elle étudia par la suite glisser à travers ses doigts fins, avec une infinie attention. Qu'il était bon de ne se soucier de rien. Tout à coup, elle avait envie de retrouver le petit lézard qui l'avait tellement surprit la dernière fois... l'observer de plus près...où était-ce déjà ? Au bord de l'eau ?

Une brise iodée vint achever d'ébouriffer ses long cheveux dorés. Soudain, il lui sembla entendre l'écho d'une voix dans le lointain, suivit de quelques bruits sourd. Mais peu désireuse de découvrir de quoi il retournai, elle choisit de n'y prêter nullement attention. Ce n'est que lorsqu'elle se remit à marcher tranquillement, un peu plus tard, qu'elle fut bien obligée de se rendre à l'évidence...

"Que..." Commença-t-elle en fronçant les sourcils, interrompue dans son admiration béate du paysage par une présence sur la plage.

Sur son visage s'afficha une moue ampli de soupçon. Elle s'avança doucement jusqu'à pouvoir totalement distinguer l'homme qui lui faisait désormais face. Jamais encore il ne lui semblait l'avoir vu celui-là...

"Seriez-vous naufragé...?" s'enquit-elle d'une voix claire, manifestement à la fois déroutée et intriguée. "Vous allez bien ?"

Jeune, l'air perdu...l'étudiant de pied en cape, la jeune fille eut tôt fait de déterminer qu'il n'avait pas l'air d'un mauvais bougre. Elle qui espérait ne croiser personne. Pauvre âme... il n'avait pas l'air trop mal en point, mais savait-on jamais ? Se doutait-il seulement dans quel endroit il venait d'atterrir ? Sans un mot de plus, elle s'avança encore avenante, juste assez pour pouvoir ensuite lui tendre sa gourde en l'enjoignant d'un mouvement du bras de ne pas hésiter à se servir.


[HRP :Salut salut, c'est moi qui vais avoir l'honneur de t'accueillir ! Bienvenue et bon jeu ]

Il sourit de soulagement et poussa un soupire de contentement en la voyant s'approcher et en entendant le son de sa voix. Il posa une main sur sa hanche et laissa son autre bras pendouiller contre le long de son corps. Le manque de tact de la jeune femme le consterna quelque peu.. Afin de lui faire comprendre son mécontentement, il commença avec une agressivité plus ou moins explicite certainement due à la saturation,.

« Bonjour »

Il fronça légèrement les sourcils, plissant un peu son front dans la continuité de l'expression. Il croisa directement ses bras pour fixer l'inconnue. Il la dévisagea de haut en bas sans aucune gêne. Il reprit calmement, toute exaspération s'étant estompée, posant un regard plein de compassion sur celle qu'il croyait être une pauvre fermière à cause de ses vêtements malgré tout plutôt propres.


« Naufragé est un bien grand mot.. je suis simplement perdu sur un continent que je ne connais pas et je suis contraint d'avouer mon désarrois quant à la situation présente.. Les marins qui m'accompagnaient ont l'air de s'être débrouillés sans moi.. »

Il soupira de nouveau et la regarde avec une certaine détrese.

« Je suppose que paysanne que vous êtes, vous devriez connaître les terres de ce pays.. Pourriez-vous me guider vers New York s'il vous plaît, ma fille.. ? On m'y attend pour une affaire importante»


S'efforçant de sourire comme il le pouvait, il réajusta maladroitement sa soutane collante. Les dents serrées instinctivement, les yeux creusés par les cernes, il acquiesça lentement. Semblant un peu agacé et se rendant certainement un peu compte de l'anormalité de la situation actuelle.. D'abord son  réveil plus qu' inattendu, la découverte des restes de ce qui aurait du être son navire et enfin la rencontre avec cette jeune femme aux vêtements complètement décalés avec son époque. Il restait muet mais son regard inquisiteur en disant long sur le fond de ses pensées et sur ses doutes. D'un pied nerveux, il creusait sans y prêter une grande attention le sable fin.

Au ton de l'inconnu, le bras tendu de Danaé se crispa quelque peu avant de s'abaisser totalement. Puisque manifestement il ne semblait pas s’intéresser à son eau...soit. L'examen qui s'en suivit par contre lui fit prendre conscience de sa tenue qui n'était pas des plus présentable. Et lui alors ? S'était-il seulement regardé ? Interdite, elle ne put s'empêcher de ramener maladroitement quelques mèches derrière son oreille tout en rentrant la tête dans ses épaules, mal à l'aise. Voilà qui la traitait de paysanne ?

Réprimant un soupire avec effort, elle eut un rire bref et indigné face à l'attitude du jeune homme et le laissa s'exprimer sans mot dire. S'il était vrai que le terme lui convenait plutôt bien, il y avait quelque chose dans l'attitude de cet homme qui rendait le terme discourtois sans qu'elle ne parvienne pour autant à déterminer pourquoi. Finalement, elle croisa les bras pour répondre à l'attitude de l’énergumène en levant sur lui un regard agacé.

"Vous pardonnerez à une paysanne sa rudesse, mais sachez, Monsieur, qu'il n'y a pas de 'New-york', ici." Rétorqua-t-elle plus durement qu'elle ne l'avait voulu dans un élan d'indignation. "Vous pouvez d'ors et déjà oublier les affaires pressantes qui vous y attendaient."

Face à la mine de son vis-à-vis, elle se dandina imperceptiblement en réfléchissant, d'autant plus mal à l'aise qu'elle venait de s'emporter sur ce pauvre homme pour rien. Peut-être lui reprochait-elle d'avoir gâché sa promenade...? Se raclant la gorge, elle se massa une tempe et abandonna toute trace de dureté en un clin d’œil. Ses épaules s'affaissèrent comme elle imaginait la réaction de l'homme quand il saurait... car il ne savait manifestement rien...

"Écoutez...je suis sincèrement navrée mais vous ne pourrez pas partir d'ici...nulle ne le peut." L'hésitation qui perçait dans sa voix vacilla quelque peu, comme elle était sincèrement désolée pour lui. "Vous êtes sur l'île d'Islaberu. Et comme nous tous, vous voilà condamné à revoir l'existence que vous avez toujours connu pour vous en inventer une nouvelle."

Prise d'un élan de compassion, elle leva les yeux sur lui en se morigénant intérieurement. Il n'était jamais bon d'être trop direct parfois... mais la vérité avait été donné, aussi nue et cruelle soit-elle. Malgré tout, elle redoutait qu'il ne lui reproche de mentir ou de se moquer de lui. Prête à accuser le coup, elle se contenta d'étudier sa réaction.

Il ne quitta pas des yeux la gourde de la jeune femme durant toute sa descente. Avait-il commis une erreur ? Avait-il été blessant dans ses propos ? Il haussa brièvement ses sourcils d'incompréhension, ne sachant pas où il avait frappé. Il préféra rester silencieux, laissant un blanc s'installer pendant quelques longues secondes. Mal à l'aise à son tour par le silence de la dame, il baissa de biais ses yeux et déglutit difficilement.

Ne réagissant pas immédiatement en l'entendant parler, il rit nerveusement après qu'elle eut terminé. Le rire était fébrile et brusque. Il vint tapoter doucement son épaule et lui sourit avec une certaine bienveillance malgré la nervosité toujours présente.

« Allons.. ne dîtes pas de sottises.. »

Tout était mis en œuvre depuis le début de son arrivée pour lui prouver que l'inconnue avait raison.Il soupira longuement, sa mâchoire restait crispée, devenant presque douloureuse. Son cœur commença à s'emporter, le mal-être était à son comble, il la regardait d'un air un peu dépité.. Il leva rapidement ses yeux douloureux et pleins d'espérance vers elle. Il mordilla sa lèvre tremblotante, écoutant distraitement mais suffisamment pour comprendre le principale.. Comment fallait-il réagir ? S'énerver contre la pauvre fille qui n'y était pour rien, fondre en larmes ou encore laisser la folie faire ce qu'elle avait à faire.. ? Il ferma les yeux et se pinça l'arrête du nez d'une main. Il s'assit en tailleur sur le sable, son vêtement mouillé l'humidifiant quelque peu et caressa son menton poilu d'une barbe encore toute jeune de sa main libre. Allait-elle s'asseoir avec lui ou le laisser seul ? Il n'attendit pas la réponse et s'éclaircit la voix rapidement pour que les tremblements de sa voix ne soient pas perceptible. Il déglutit de nouveau et leva ses yeux neutres vers elle. Il tenta de son sourire de façon plutôt forcée.

« Puis-je avoir de l'eau, s'il vous plaît ? »

Pour son grand malheur, sa voix était encore plus frêle qu'il ne l'aurait imaginé. Les yeux brillants, il repassa en boucle dans sa tête les moments agréables qu'il avait put passer avec certains membres du clergé, des amis de beuverie et d'autres encore. Devait-il oublier tout cela et renoncer à ce qu'il était devenu après des années de sacrifice ? Il réfléchit longuement, sa tête bouillonnant de questions en tout genre, il commença par la plus simple.

« Je suppose que vous avez un prénom.. ? »

Mais pas la plus importante . . .

Prenant une profonde inspiration, Danaé observa l'homme se figer avant de partir d'un rire nerveux et soudain. Lorsqu'il tapota sur son épaule, elle eut un petit sursaut comme elle s'était mise à fixer ses pieds avec embarra. Que faire...? Elle se sentait tellement mal pour lui. Les émotions qui dansaient sur son visage fatigué eurent tôt fait de dissiper les dernières traces d'agacement qu'elle avait pu ressentir à son encontre.

Finalement, il se laissa choir au sol. D'une voix chevrotante, il lui demanda de l'eau puis...son prénom. Pour sa part, ne sachant trop comment réagir, la jeune fille était toujours debout à le considérer avec peine. Au bout de quelques minutes à le contempler, elle réagit finalement :

"Vous pouvez m’appeler Danaé." Lâcha-t-elle d'une petite voix. Puis n'y tenant plus, elle se mordilla la lèvre inférieur et s’accroupit sur le sable à proximité de l'homme de qui le sourire était à fendre le cœur.

S'empressant de lui tendre sa gourde, elle balaya toute les convenances -qu'elle n'avait jamais vraiment respecté par ailleurs...- et déposa une main qui se voulait timide mais rassurante sur son genoux. Son mal être, elle ne pouvait que l’interpréter, mais n'étant pas dénué d'empathie il fallait avouer qu'actuellement, la jeune femme avait l'impression de partager sa tourmente. D'autant plus qu'elle n'y était pas vraiment étrangère maintenant, en vue de ce qu'elle lui annonçait...

"Pardonnez ma brusquerie...mais je trouve que mieux vaut se faire à l'idée de rester ici au plus vite, que d'éprouver quelques vains espoirs. " murmura-t-elle, soucieuse en penchant sa tête de côté. "Mais au moins...vous n'êtes plus seul sur ces terres à présent, je vous promet de vous guider du mieux que je puis."

Un petit sourire encourageant fleurit sur ses lèvres tandis qu'elle le considérait avec inquiétude. Il aurait été de bon gout de tenter le réconforter, mais hélas comment ? Désireuse de lui laisser le temps d'avaler la cruauté de son destin, elle préféra ne rien rajouter pour le moment.

Il resta au sol, attendant une quelconque réaction de la part de la jeune femme. Il se racla sa gorge grâce sans beaucoup de prestance  sans la quitter des yeux. Il ne savait pas quoi dire lui aussi, il ravalait la colère et le chagrin, prêt à exploser à l'intérieur mais il décidait d'attendre, de se contenir face à celle qui pourrait être considéré comme sa sauveuse. Tentant de relativiser, il la regarda plus intensément, tentant de comprendre pourquoi la jeune femme était présente seule sur la plage alors qu'il venait de s'échouer... Simple coïncidence ou magnifique signe de Dieu. Il sourit discrètement, songeant à la seconde possibilité.

« Danaé...bien.. »

Semblant un peu ramolli, il ne fit pas attention à elle quand elle s'installa à ses côtés. Les sourcils froncés, il retira sa soutane à col romain toujours collante et désormais pleine de sable.

« J'ose espérer que mon accoutrement ne ne vous gène pas. »

Il la posa avec négligence à ses côtés et sorti de sa poche une fiole d'eau bénite, n'attendant pas la réponse. Il la mit délicatement sur son ample vêtement pour la mettre de côté. Il ne réagit pas en sentant la main sur sa jambe et saisit la gourde mollement. Il l'ouvrit et regarda le goulot d'un air plus que las. Il finit par porter l'eau à ses lèvres pour n'en prendre qu'une simple gorgée. Il essuya par habitude l'endroit où il avait but d'un revers du poignet et la rendit rapidement à Danaé avant de prendre la fiole préalablement mise de côté. Il ouvrit le petit bouchon en liège et le laissa choir dans le sable. Il fit couler l'eau entre ses doigts et la regarde filer comme des haillons d'argents. Une fois vide, il la jeta sur la plage, les dents serrées. Il grimaça en grommelant.

« Que des conneries...tss »

Ses muscles tremblant un peu à cause de la saturation, il prit une grande bouffée d'air pour tenter de se calmer et posa son front dans le creux de ses mains. Il fronça ses sourcils et lui lança un regard sévère, tout aussi agressif que son ton.

« Nous  n'avons pas la même définition de la solitude.»

Se relevant brusquement, il récupéra sa robe et la laissa traîner derrière lui. Il se tourna vers la mer, se laissant porter par la douce berceuse des vagues et de la fonte de l'écume sur le rivage.

Prise au dépourvu face a l'agressivité de l'étranger, Danaé retira vivement sa main et plissa ses yeux d'argent, peiné. Était-ce l'émotion qui parlait ? Plus elle l'observait, et plus il paraissait clair que son état n'était qu'instabilité. Entre chagrin et colère, fatigue et nervosité, il semblait flotter, perdu, las...
Puis il s'était relevé aussi brusquement, la laissant perplexe, l'observer se trainer sur le sable telle une âme errante avec sa mise déplorable. La solitude... était un concept propre à chacun selon les manières de la ressentir, il était vrai. Sur ce point, Danaé avait préféré ne rien relever pour se contenter de fixer le dos de l'homme qui s'était retourné. Mais quand même...

Cependant, au bout d'un moment à observer la silhouette, la jeune femme se leva et entreprit de s'approcher. Doucement, sans toutefois faire ressentir sa présence, elle se positionna à ses côtés et observa l’océan pendant un moment, silencieuse. Elle n'était pas bien grande à côté de lui et toute fine, pourtant, elle se sentait forte et résolue, riche du savoir qu'elle détenait et qui pourrait sauvegarder ce garçon. Sa conscience lui enjoignant de ne pas l'abandonner à son triste sort comme elle aurait pu le faire, à présent qu'elle avait croisé son chemin. Pendant un bref instant elle se remémorai son frère...sans trop savoir pourquoi. Et s'il avait échoué ici lui aussi ? Et si...personne n'avait su lui indiquer la voie et qu'il s'était perdu et pire encore ? Combien d'autre naufragés n'avaient trouvé celui ou celle qui aurait pu les préserver du danger de cette île ?

"Peu importe les définitions. J'ai connu votre peine moi aussi...nous l'avons tous connu, j'imagine. Et je ne vous laisserai pas ici." déclara-t-elle d'une voix basse et calme. "C'est trop dangereux."

Elle serra ses poings et répéta encore plus bas quitte à paraître impertinente :

"Je ne vous laisserai pas...à votre solitude. Navrée."

Il restait là, debout, n'osant pas regarder la jeune fille, honteux de son attitude à son égard. Il aurait pu mettre son agressivité sur le compte de la fatigue, de ses nerfs à bout mais il en était conscient et cela insupportait d'avantage.
Pourquoi était-il dans cette position, lui qui avait juré de guide les Hommes ? Pourquoi était-ce lui à la place du troupeau en quête de berger alors qu'elle devrait être à sa place ?
Le malaise ubiquiste le poussait à croire qu'il avait faillit à sa tâche qu'il pensait pourtant ne pas tenir à cœur. Les pensées se bousculaient, entrevoir un futur paressait difficile mais bien possible. Il ferma les yeux, restant au calme à écouter les vagues.. Dieu. Se rapprocher de cette entité dans de telles circonstances étaient pour lui un moyen de se raccrocher à la vie, une nouvelle chose en laquelle croire.

Il était temps d'agir, de prendre en compte les sages paroles de tous les prêtres qu'il avait pu rencontrer. Peut-être avait-il une destinée différente que celle tracée par le Vatican.
Le libre choix, principe fondamentale de la religion en laquelle il croyait, s'offrait aujourd'hui à lui. Vivre pour Dieu ou abandonner et se laisser tomber.

La voix de Danaé interrompit ses réflexions embrouillées et pourtant si distinctes. Il s'attarda sur le timbre de sa voix, la douceur de ses mots. C'est elle qui avait raison. Au delà de ses paroles, il crut entrevoir un message d'espoir, de force, l'abandon est lâche et maudit par l’Église.
Il tourna les talons et se retrouva face à la femme. Il posa une main bienveillante et pleine de douceur sur sa fine épaule, lui accordant un sourire serein en totale contradiction avec ses agissements précédents.

« In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti benedictus Amen »

Le Guide, ce serait lui et non pas une petite fleur aux allures frêles et timides.
Il respirait plus calmement déjà et plongea ses prunelles dans les siennes.

« Ma fille, tu m'as redonné espoir et foi, moi qui croyait avoir tout perdu. Je t'en suis reconnaissant et, en accord avec tes propos, je refuse de rester ici. »

Il désigna rapidement la plage d'un signe de tête. Le tutoiement rendait plus familier ses propos. Il conserva une main protectrice sur la jeune femme. Il tenta l'humour afin de détendre l'atmosphère, arborant un petit sourire léger.

«  J'espère que Dieu te donnera la force de me pardonner pour mes précédentes paroles et actes. Tu sais, je ne suis pas un bien mauvais bougre »

Surprise par le revirement de situation, la jeune femme écouta attentivement les mots étranges de l'homme, le fixant en clignant des yeux sans comprendre, la bouche entrouverte. Elle se tenait là raide tandis qu'il avait posé une main bienveillante sur son épaule. Mais n'était-ce pas elle qui aurai dû avoir ce genre d'attitude pour apaiser ce pauvre garçon ? Se demandant quand est-ce que les rôles avaient été inversé, elle fit une petite moue avec les sourcils levés tout en n'osant pas l'interrompre...

Finalement, il semblait être plus fort mentalement qu'elle ne l'avait imaginé, c'était là une bonne nouvelle en soit. Bien que cela puisse n'être qu'une façade visant à lui donner contenance face à son chagrin. Elle déglutit avec peine comme elle avait la bouche sèche tout à coup.

"Oui je sais... je l'ai su dès le début, que vous n'étiez pas un mauvais bougre." Elle sourit avec chaleur et assurance en lui rendant son regard.

Cette familiarité soudaine de la part de l'étranger, qui n'avait même pas jugé utile de se présenter était curieuse. Pourquoi était-il si paternelle alors qu'ils avaient l'air d'avoir le même âge ? Se raclant la gorge pour interrompre son étude attentive de l'individu, elle baissa les yeux faisant mine de réfléchir.

"Par où commencer..." se passant une main sur la nuque, Danaé farfouilla nerveusement dans sa sacoche et s'accroupit, coupant ainsi tout contact avec l'homme. Là elle entreprit de tracer un plan succin de l'île sur une page vierge de son carnet.
"De ce que j'en sais, l'île à cette forme et nous nous trouvons...ici."

Du bout de son crayon elle désigna un point avant de reprendre son explication :

"Il existe un village à environ une journée de marche d'ici. C'est là-bas que...enfin, presque tous les naufragés ont trouvé refuge. Pour l'atteindre, nous devons passer par la palmeraie, qui est elle-même truffée de pièges en tout genre, d'animaux, insectes et plantes sauvages."

C'était un plan peu détaillé et probablement plein de lacune, mais au moins, l'essentiel était là. D'un geste agile, elle décrocha la page et la tendit à l'homme.

"Si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre. Nous pourrons parler en chemin..."
Et sans plus attendre, la jeune fille jetait un dernier regard à l'océan avec une pointe de regret, avant d'inviter l'homme à lui emboiter le pas, avec un petit sourire.

Il sourit d'avantage en l'entendant répondre et mis finalement fin à cet échange de regard qu'il jugea gênant. Bien qu'elle ait l'air aimable et attachante, elle restait une femme et on le luit avait toujours répété « elles sont la cause du péché originel »... Elle ne devait pas être bien plus âgée que lui, il relativisa et la laissa s'accroupir, retirant sa main.
Il la regarda sans vraiment comprendre le calepin et finit par se mettre à genoux dans le sable à ses côtés. Il regardait en détail les contours de l'île..
Elle n'aurait pas pu les inventer, tout cela était bel et bien vrai. « Ici »... Il caressa du bout des doigts son menton, dans une sorte de réflexion intérieure.

Il la regarda un peu en coin avant de refixer son attention sur le plan lorsqu'elle reprit.

« De pièges et d'animaux dis-tu.. ? Dans ce cas, que fais-tu ici et qui plus est seule ? Crois-tu vraiment que ce soit judicieux ? »

La réprimander n'était pas plus intelligent que de venir se promener sur la plage, il fit abstraction de ce qu'il venait de dire et reprit plus calmement.

« Une journée de marche, ça fait plutôt long . . . L'île est donc assez vaste. Il n'y a qu'un seul village sur un territoire pareil ? »

Il cligna des yeux sans vraiment comprendre pourquoi elle lui tendait le plan. Il le récupéra cependant mais une chose était sûre, loin de lui était l'envie de rejoindre le village seul étant donné qu'il ne connaissait absolument rien de la faune indigène... Ou de la faune dans en générale.

Il se sentit un peu stupide, le tutoiement n'était pas réciproque et cela créa un certain malaise. Peut-être était-il allez un peu vite avec la jeune femme, cela ne devait certainement pas être dans ses habitudes.

Il se releva en s'appuyant sur ses propres genoux et acquiesça, soulagé de savoir qu'il serait accompagné.

« oui, avec plaisir. »

Une journée de marche, cela paraissait plutôt long.. Que pourrait-il dire ? Sur quoi allaient-ils pouvoir échanger ? Le silence était peut-être la meilleure solution. Il la suivit, lui rendant un sourire discret. Il sorti d'une poche de sa soutane une montre à gousset joliment ouvragée, cherchant à prendre connaissance de l'heure. Le mécanisme était rouillé, rongé par l'eau et par le sel. Il soupira, blasé et la rangea rapidement sans aucune délicatesse. Il tourna sa tête vers l'épave de façon à tirer un trait sur le passé et sur le futur qu'il s'était imaginé.
L'avenir était incertain mais il n'était pas seul.

La jeune fille n'avait pas relevé la réprimande concernant le fait qu'elle se promène seule à travers cette jungle hostile. Elle aurait pu lui dire qu'elle aimait bien n'en faire qu'à sa tête, mais qu'est-ce que cela aurait changé ? Judicieux ou pas, elle n'était pas effrayée à l'idée de faire quelques mauvaises rencontres, aussi étonnant que cela puisse paraître.

"Faites attention, regardez bien où je mets les pieds."

Ils se mirent en chemin.

"Ah..." soupira-t-elle au bout d'un moment. "il y a bien des choses sur lesquelles je dois vous entretenir. Pour que vous puissiez comprendre pleinement comment les choses fonctionnes ici."
Après quelques minutes de marche à éviter les broussailles, la demoiselle reprit la parole.

"Tout d'abord, aussi bizarre que cela puisse paraître, les gens qui s'échouent ici provienne d'époque, de lieux et de mondes différents, j'ignore totalement ni pourquoi ni comment c'est possible. Mais c'est un fait. D'ailleurs, il en va de même pour vous comme pour moi."

Elle fit une pause pour laisser le jeune homme enregistrer l'information.

"Je n'ai pas connaissance d'autre village, mais au delà des montagnes nulle ne semble savoir ce qui s'y trouve. Toutes les créatures et personnes dotées de facultés spéciales ou magiques y ont sans doute trouvé refuge, j'imagine...car l'inquisiteur et la mairesse dirigeant le village ne les acceptent pas. Ils les chassent voire pire encore...car ils les craignent."

Se faisant, en prononçant ces dernières paroles la jeune fille eu un rire bref et désabusé. L'amer souvenir du buché auquel elle avait assisté par hasard lui serra le cœur et la rendit un peu sombre.

"Mais...le bruit court qu'une rébellion est sur le point d'éclater, qui sait ce qui adviendra de nous. Je ne vous cache pas que les temps ne sont pas des plus favorable pour intégrer notre communauté."

Elle se retourna brièvement vers son protégé pour vérifier que tout allait bien, par trop consciente que les mauvaises nouvelles s'enchainaient pour lui. Et s'il possédait, lui aussi quelques dons ? Le dévisageant avec insistance, elle s'arrêta et s'invectiva mentalement, pourquoi n'y avait-elle pas songé plus tôt ?

"Dites...parlez-moi un peu de vous. Vous semblez être un homme de foi...vous ne possédez pas de pouvoirs...n'est-ce pas ?" De toute manière, il était prévenu maintenant, et puis il n'avait rien pour le tromper si jamais il en avait. Doucement, elle enchaina aussi : "Et...quel est votre nom ?"

Il la suivait de près, de très près. Se perdre n'était pas dans les options et se faire agresser par des animaux bestiaux et dépourvus de la moindre once d'intelligence non plus. Il l'imitait à l'identique, ne réfléchissant pas au pourquoi du comment il fallait marcher là ou pas.. Il lui accorda toute son attention, évitant de se prendre les pieds dans quoi que ce fut. Il l'écouta et eut un rictus amusé. Non, ce n'était pas vraiment le moment de plaisanter.. Et pourtant cela était plus que risible.. Où était-il tombé ? Était-ce là une farce de la jeune fille ou alors peut-être n'était-elle vraiment pas paysanne.. ?
D'où pouvait-elle donc venir.. Les époques, il pouvait le concevoir, certes.. mais les mondes.. Non, elle se moquait. Dieu était le créateur du monde et de l'Univers et il avait créé les Hommes à son image. Ainsi, l'existence même d'autres univers était impossible. Il rit doucement mais se ravisa rapidement. Il encaissa sans grande difficulté ce détail, attendant la suite.
Il devint plus grave et méfiant, les sourcils légèrement froncés en entendant la suite.

« De la magie.. ? Cette chose est punie par l’Église mais la tolérance est une des vertus dont les Hommes sont dotés qui leur permettent grâce à la force de Dieu de faire abstraction des différences de chacun. Pourquoi les avoir rejeté et ne pas les avoir intégré ? Certaines choses magiques peuvent être... Utiles. »

Se refusant à s'aventurer dans des explications trop longues qu'elle ne comprendrait peut-être pas, il reprit.

« La magie noire doit être punie par les Bons grâce à la force de la Lumière. Le Feu est juste et c'est là la seule manière d’annihiler le Mal à tout jamais. Si votre Inquisiteur est juste, alors il aura choisis la solution la meilleure.»

Sa voix était grave, sans défaillance et pleine de conviction. Il écouta la suite et son visage devint plus rude.

« Le démon est en chacun de nous. Rejeter ces êtres sans les connaître n'était certainement pas le plus adéquat.. " On récolte ce que l'on sème. " Dieu est juste et il choisit les punitions adaptés pour expier les péchés de ses Enfants. Si ces Créatures sont mauvaises, alors Dieu protégera son troupeau du sort qu'ils lui réservent. »

Manquant de trébucher, il se rattrapa maladroitement. Il continuait sa marche et ralentit en la voyant s'arrêter. Il lui accorda un regard inquisiteur, il prit une pose décontractée et réajuste sa soutane sur son épaule. Étonné par la question, il répondit après quelques longues secondes de réflexion.

« Parler de moi.. hmm.. oui, je suis prêtre et à moins que vous ne considériez les exorcismes comme une quelconque magie, non, je ne suis pas sorcier.. »

Il cligna des yeux pensant pourtant lui avoir déjà dit son nom. Était-elle sénile en plus de n'avoir aucun goût vestimentaire ? Il décida de faire comme si de rien n'était...

« Mon nom est plutôt long, appelez moi simplement Edwin. »

La jeune fille lâcha un nouveau soupire en l'écoutant parler, ne se préoccupant guère de son ton inquisiteur et de la conviction dont il faisait preuve. Comme elle s'y était attendue, l'homme assura ne pas posséder de pouvoir. Ou sinon, c'est qu'il le cachait vraiment bien. Mais de toute évidence, il avait été élevé avec des principes et une morale qui n'étaient sienne, mais qu'importait cela... elle n'allait pas le juger pour ses croyances.

Dans le silence, elle refit le tour de ses paroles et après coup, elle ne pu s'empêcher muni d'un pâle sourire tout en faisant couler sur lui ses prunelles d'acier :

"Est-ce juste selon vous, que de brûler les gens, Edwin ? Mérite-t-on de mourir ainsi parce qu'un autre homme aura porté sur nous le jugement défavorable de son dieu ? Je ne sais pas...cela me semble un peu trop facile. Mais vous avez raison sur un point cependant, car cet homme, ce Père lucius va bientôt récolter ce qu'il a semé. Je gage que d'ici peu, ceux-là même qu'il aura pourchassé viendrons lui demander des comptes."

Et sur ces paroles tranchantes elle se tut, un instant, juste le temps pour elle de se détourner du garçon et reprendre la marche en se mordant la lèvre de crainte d'en avoir trop dit. Ses sermons n'avaient aucune sorte d'effet sur elle. Les démons, dieu...tout cela étant relégué chez elle dans le coin des choses ne l’émouvant guère. Cependant, elle ne pardonnait pas les actes barbares de l'inquisiteur. Un silence tendu s'installa.

"Devrais-je le laisser entre ses mains...? Il me semble qu'ils prône tout deux la même religion. Mais cela serait-il vraiment raisonnable...?" cela fut énoncé à voix basse, plus pour elle-même que pour Edwin.

Personnellement, elle hésitait. Dans son dos elle sentait la présence du jeune homme sans qu'elle en éprouve une quelconque gêne, ce qui, elle en était sûre, n'aurait pas été le cas du Père ou de l'un de ses sbires. Connaissant de réputation l'inquisiteur et ayant été témoin de ses actes ainsi que la noirceur qui l'entourait, elle hésitait...cet Edwin avait l'air d'être un homme bon malgré ses élucubrations religieuses un peu naïves...il pouvait tout aussi bien tenter trouver une autre voie que celle qu'il clamait...non ?

Gardant ses pensées pour elle, Danaé choisit de continuer de l'informer sur le fonctionnement des choses sur cette île d'une voix presque éteinte :

"Ici, tout marche au troc. Trouvez-vous une occupation raisonnable et vous serez d'autant mieux admis au sein du village. Il vous faudra rencontrer la mairesse pour vous faire recenser, et si vous le désirez, je vous mènerai jusqu'à l’Église..."

Il l'écouta et sourit, satisfait. Il ne l'interrompit pas et se contint afin de ne pas lui couper la parole, ce qu'il considérait d'impoli.

« Chacun a sa vision de la Justice comme de la Solitude. Un homme peut-être juste mais ne pas procéder de la bonne manière. Parfois, le fond est bon mais la forme n'y est pas.. Je ne peux me permettre de juger votre Inquisiteur étant donné que je ne l'ai encore jamais rencontré. Un Homme ne peut se permettre d'ôter la vie à n'importe qui sauf si l'individu en question s'avère être une menace importante.. Le mal ne s'expie que par la Lumière ici représentée par les flammes.. Parfois en voulant agir au nom de Dieu, il arrive que nous agissions à l'inverse de ce qu'il demande.. Mais Dieu est Amour et Miséricorde.. »

Il ferma les yeux quelques instants avant de pousser un long soupire.

« Lucius, si tel est son nom est en faute lui aussi, c'est évident mais ceux qui veulent sa peau le sont tout autant. Même si ces actes sont barbares, ils permettent de mettre des barrières aux Hommes. En montrant l'exemple, ils réfléchissent d'avantage et s'avèrent moins dangereux.. Si l'Inquisiteur a brûlé ces individus, c'était en pensant bien faire... Personnellement, je ne m'y suis jamais vraiment mêlé, je trouve ça barbare et cela ne fait que raffermir les clichés sur la religion.. »

Il soupira de nouveau, un peu blasé en repensant aux bûchers. Il se remit en marche derrière elle sans la décoller d'une semelle. Il sourit d'amusement.

« Au vue de vos propos sur cet homme, vous ne semblez pas l'apprécier énormément. »

Fier de sa perspicacité sans faille, il se retint de rire et lui fit un clin d'oeil complice.

« N'ayez pas peur de m'en parler, je serais muet comme une carpe.. Secret professionnel. »

Évoluant dans la palmeraie, il respirait plus bruyamment qu'à son habitude. La fatigue commençait à peser mais il riva son regard sur le sol, faisant attention à chaque racine et chaque pierre pour éviter de s'affaler devant Danaé.
Il l'écouta, un peu moins attentif que précédemment et releva ses yeux brusquement. Il entrouvrit ses lèvres et cligna des paupières. Il s'arrêta brièvement avant de reprendre la route.

« Du troc ? Je..ne fais pas grand chose d'utile pour une communauté comme la votre..»

Il se tut et écouta la suite.

« Oui, je veux bien que vous m'y emmeniez, si cela ne vous dérange pas. »

La distance était revenue naturellement, le tutoiement était redevenu vouvoiement pour son plus grand désarrois.

Hochant silencieusement la tête face aux propos d'Edwin, la jeune femme continuait sa progression à travers la palmeraie sans se retourner. Secrètement, elle sourit en s’apercevant qu'il s'était remis à la vouvoyer, bien qu'un peu lasse. Sans doute avait-il été désarçonné qu'elle ne lui rende ses familiarités, mais seul le temps leur offrirait ce privilège, peut-être, s'ils en avaient l'occasion. Car pour l'heure, même s'il n'était pas désagréable, quelques détails l'empêchaient de se rapprocher de lui, d'autant plus qu'il semblait bien parti pour aller gonfler les rangs ô combien troubles du Père Lucius. Ce qui engendrerait qu'ils ne se côtoient pas vraiment...

"Vous m'avez l'air d'être quelqu'un d'instruit, Edwin. Je suis sûre que la Mairesse ou encore le Père, saurons vous trouver une utilité." Fit-elle remarquer au bout d'un moment de marche laborieuse. Dans son dos, elle fini par entendre la respiration bruyante de l'homme. "Faisons une pause voulez-vous ? Prenez un peu de repos."

Ils venaient de déboucher sur une toute petite clairière dans laquelle coulait un mince cours d'eau. Le soleil était encore haut dans le ciel, peut-être arriveraient-ils au milieu de la nuit. Jetant un coup d’œil un peu partout, la jeune fille s'installa tout naturellement sur une racine et se pencha pour boire un peu d'eau fraiche. Ceci fait, elle farfouilla dans sa sacoche pour en ressortir quelques fruits secs qu'elle tendit au jeune prêtre.

"Réfléchissez-y, votre venue sur cette île est peut-être l'occasion pour vous d'apprendre à mieux vous connaître, revoir tout ce que vous considériez comme acquis et entamer une nouvelle existence. En plus d'être une épreuve à surmonter, cela peut s'avérer être une chance." Le regardant tranquillement en fourrant quelques fruits dans sa bouche, elle continua : "Avez-vous des rêves ?"

Une fois de plus ce silence de mort.. Pas un mot de la part de la jeune femme qui se contentait d'avancer dans la broussaille sauvage. Se posant moult questions, il finit par croire qu'il avait contrarié  Danaé, repensant à tous ses mots, il finit par conclure qu'elle n'était pas une fervente croyante et que la religion devait la barber royalement. Il haussa discrètement les épaules et sourit. Pourquoi la juger alors qu'elle avait été si compréhensive avec lui ? Il prit à son tour la parole, rassuré qu'elle ait enfin dit quelque chose.

« Une chose utile pour eux ne sera peut-être pas utile pour tout le village. »

Il parlait d'un ton plutôt neutre et hoqueta de surprise en entendant la question. Il ferma les yeux et posa ses mains sur ses genoux, penchant son buste en avant de façon à reprendre sa respiration. Il lui sourit aimablement.

« Volontier. »

Il finit par s'installer dans un coin recouvert de mousse pas très loin de Danaé. Il chercha au fond de sa poche les quelques pages qu'il lui restait de ses livres et les regarda tristement.

« Vous aimez lire ? »

Il les agita rapidement dans l'air afin de les faire sécher plus rapidement sans beaucoup de succès. Il les posa finalement à coté de lui et s'allongea, les bras croisés derrière sa nuque. Il regarda les fruits et se redressa, les prenant délicatement dans le creux de sa main. Se rallongeant, il commença à les manger distraitement. Il l'écoutait d'une oreille plus ou moins attentive et riva ses yeux sur le ciel. Il plia sa jambe droite tout en gardant le reste de son corps contre le sol.

« Que je sois coincé ici ou que je sois arrivé à destination, les années se seraient écoulées de la même façon.. Dans les deux cas j'aurais appris à me connaître d'avantage.. »

Sa voix était triste, un petit moment de faiblesse passager probablement. Il ferma les yeux et sembla absent, son visage juvénile détendu. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire discret. Sans bouger ses paupières, il lui répondit calmement.

« Des rêves ? Et bien.. depuis que je suis plus jeune, je rêve d'une vie où la religion n'a pas sa place dans mon cœur. »

Se redressant, il grimaça un peu et rouvrit ses yeux.

« Une vie où je ne suis pas obligé de refiler l’Ostie à toutes ces vieilles hypocrites »

Il ria doucement.

« Une autre vie où je ne suis pas un curé, tout simplement »

Un peu plus détendu, il tourna son visage serein vers Danaé en conservant un petit sourire mystérieux.

« Et vous? »

Avec nonchalance, la jeune femme s'était appuyée sur le tronc auquel appartenait la racine sur laquelle elle avait prit ultérieurement place. Mâchant sa maigre ration avec ravissement, elle ferma les yeux, laissant le bruit clair et cristallin de l'eau la bercer. En cet instant, elle aurait volontiers fait une petite sieste...

"Ce que je voulais dire...c'est que je penses que c'est dans l'épreuve que l'on apprend à se connaître le mieux."

Elle l'écouta attentivement, passer de la tristesse au rire et lui confier ses rêves. Un petit sourire étira ses lèvres et elle fit rouler sa tête vers lui sans la détacher du tronc. Il paraissait plus détendu tout à coup, et elle se dit qu'il était agréable de converser en sa présence.

"Y aurait-il quoique ce soit qui vous empêche de faire de vos rêves une réalité à présent ? A part vous-même."

Elle lui décocha un regard franc et lumineux avant de baisser le regard sur le papier. Se penchant doucement vers Edwin, elle se coucha à même le sol, sur le ventre, pour venir passer une main délicate sur les précieuses feuilles qu'il avait sorti un peu plus tôt d'une poche.

"J'adorai la lecture...je passais mes nuits à lire des livres sur la botanique." murmura-t-elle nostalgique. "Moi, je rêvais d'une vie remplie de découvertes dans laquelle nous n'aurions plus eu à craindre que nos secrets soient dévoilés."

Un instant elle laissa son regard parcourir les documents avec un petit sourire ému puis elle planta subitement ses yeux dans ceux d'Edwin, enthousiaste.

"Sur quoi portaient vos livres ?" questionna-t-elle tentant timidement d'étouffer son excitation.

Le bruit de l'eau était doux et agréable, il transportait dans une contrée lointaine et différente, verte de clairière dans ce genre.. L'envie de refermer les yeux et de se laisser bercer par cette jolie berceuse afin de pouvoir s'assoupir dans ce pays étranger était des plus tentantes.. Mais le plaisir de pouvoir converser avec une âme amie l'était d'avantage. Il se laissa prendre à la tentation et écouta attentivement la jeune femme. Il sourit.

« C'est vrai. » était tout ce qu'il trouva à dire..

Il médita sur ses mots, ses pensées n'étaient pas sérieuses, il se laissait allez de tout son long dans l'endroit plaisant où il était installé avec elle. Il se tourna sur le flanc de façon à pouvoir la regarder sans avoir à bouger la tête.

« Et bien.. J'ai été élevé pour devenir religieux, y remédier serait égoïste de ma part.. Cependant, étant donné l'état actuel des choses, rien ne m'empêche d'essayer de changer l'Eglise sur l'Île.. Je doute que le Vatican ne vienne me réprimander ici » soupira-t-il avant de lui sourire d'avantage.

Il la regarda caresser le papier d'un air attendrit.. La pauvre, depuis combien de temps était-elle sur cette île ? Il l'écouta avec intérêt et réfléchit quelques instants. Ses propos laissaient sous-entendre qu'elle même avait des secrets interdits, la curiosité sur le bout des lèvres, il s'interdit toute question sur le sujet. Pourquoi gâcher un tel moment avec elle qui s'était montrée plus que distante ? Il retenta l'humour.

« De la botanique ? Et bien quand je disais paysanne tout à l'heure je n'étais pas si loin de la vérité ! »

Il rit doucement en la voyant le fixer de la sorte. Ses lèvres étirées en un radieux sourire, il s'assit en tailleur et lui tendit les feuilles.

« Mes livres.. je suis passionné par la démonologie malgré mon statut de prêtre . . . Je dois avouer que ça n'a jamais beaucoup plu à mes supérieurs malgré que je sois exorciste.. »

Il caressa sa propre nuque avec une certaine nervosité.

« Malgré cela, je ne mords pas... Enfin je ne pense pas. » reprit-il en la regardant droit dans les yeux, heureux de pouvoir en parler avec quelqu'un.

L'humour d'Edwin concernant son état de paysanne lui arracha une moue faussement contrite.

"Vous vous moquez !" Se plaignit-elle en riant, ne pouvant s'empêcher de partager sa plaisanterie malgré tout. Se doutait-il seulement qu'il était dans l'exactitude ?

Après quoi, elle recevait avec précaution les feuilles que l'homme voulu bien lui confier. Ses yeux grands ouverts, la demoiselle fixa les bouts de papiers qu'elle avait entre les doigts avec émotion. Partagée entre l'envie de se mettre à lire immédiatement et tout ranger pour continuer leur longue route.
De la démonologie ? Voilà qui était plutôt étonnant de la part d'un homme comme lui. Cherchait-il à comprendre ceux qu'il traquait ? Néanmoins, l'idée plut à la jeune fille qui ne pu retenir le petit "oh...!" intéressé qui s'échappa de ses lèvres.

"Eh bien...c'est sûr, ils ne risquent pas de vous retrouver ici." dit-elle machinalement.

A sa dernière réflexion, elle s'interrompit dans son étude des documents et lui décocha un regard en biais avec un air de sauvageonne. A ce moment là, un sourire énigmatique creusa une fossette dans sa joue.

"Vous ne mordez pas...?" Elle laissa sa question en suspend, faisant mine d'attendre une explication face à son air ravi, puis éclata d'un rire franc et cristallin.

Un peu plus et elle lui avouait qu'il était plus probable que ce soit elle qui morde... Vite confuse pour se petit débordement, elle porta une main à sa bouche et s'excusa en rougissant avant de lui redonner ses fiches avec délicatesse.  

Ceci fait, elle s'étala sur le dos sans vergogne et s'étira avec un soupire d'aise avant de se relever aussitôt. S’époussetant succinctement, elle lui tendit une main pour l'aider à se redresser tout en lui parlant.

"Allons, courage, il nous faut nous hâter. Il sera plus difficile d'avancer une fois la nuit tombée, et les prédateurs plus nombreux. Vous apprendrez qu'il ne faut pas se fier à la beauté du lieu car on ne sait jamais sur quoi on peut tomber, et je m'en voudrai que vous tombiez dans l'un des pièges bordant le village."

Elle lui adressa un dernier petit sourire encourageant et le précéda une fois encore.

Il lui adressa un regard taquin et prit un air innocent.

« Allons je n'oserais pas.. ! Ce serait contraire au serment que j'ai prêté ! » rétorqua-t-il.

Il la regardait avec toujours autant de douceur et d'attendrissement. C'était tellement plaisant de pouvoir la voir ainsi, les yeux ébaillis devant ce qu'il considérait comme de simples bouts de papiers mouillés. La satisfaction était lisible sur son visage et il eut un hoquet amusé en entendant sa petite exclamation.

« Finalement, ce n'est pas plus mal » tenta-t-il maladroitement, pas vraiment convaincu lui même.

Il cligna des yeux sans comprendre son interruption. Il fronça avec perplexité ses sourcils. Peut-être que de là où elle venait cette expression avait un autre sens ou n'existait simplement pas. Il entrouvrit ses lèvres pour essayer d'expliquer mais elle rit avant qu'un mot ne sorte. Il la regardait avec émerveillement, la première seconde où il l'avait vu sur la plage, elle lui avait parue froide et presque antipathique... « Ne jamais se fier aux apparences »

La voyant s'excuser, il posa sur lui un regard ravit malgré l'incompréhension régnante quant à son pardon. Qu'avait-elle fait qui puisse la mettre ainsi mal à l'aise ? Il haussa les épaules et oublia rapidement ce détail, attendant la suite. Il récupéra les feuilles et les réenfouit dans la poche de sa soutane de jais.

Il se releva enfin, un peu moins souplement que Danaé, prenant rapidement sa main. Il s'aida de sa main libre pour se redresser et appuyer son poids, ne souhaitant pas faire choir la jeune femme dans l'effort.

Il l'écouta avec une certaine admiration, et plein de confiance il acquiesça, restant silencieux. Lui rendant un sourire délicat, il se remit à sa suite.

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