Galop nocturne

Naufragé

Elle semblait dormir debout, sa main délicate tendue vers le ciel sombre piqueté d'étoiles. Une main d'albâtre diaphane que le baiser de la lune auréolait de lumière pâle. Sa crinière d'argent bruissa doucement lorsque la caresse du vent effleura son échine, et elle ramena sa main comme pour happer quelque chose au passage entre ses doigts graciles.

L'air avait cette molle tiédeur des nuits de l'île, où se mêlaient la fragrance des arbres et de bêtes inconnues. Ramenant sa prise devant son visage, elle dévoila lentement sa paume dans laquelle reposait un papillon nocturne. Ses élytres frémissaient, cherchant la direction du vent, ou à capter peut être, l'effluve de sa geôlière. Il était de grande envergure, assez pour recouvrir une main, et ses ailes palpitaient doucement dans l'attente de sa libération, impatientes de glisser de nouveau sur la brise.
En relevant ses mains vers ses lèvres, Eld'rath roucoula un murmure apaisant, et son bruissement se mêla au chuchotis des vagues qui venaient l'une après l'autre mourir sur la grève. Déployant ses ailes, il reprit son envol alors qu'elle l'offrait de ses deux mains tendues au ciel nocturne. Son vol hésita quelques secondes avant de le ramener vers elle, attiré comme par une flamme vers l'infime luminescence dont la lune la parait, mais Eld'rath ne lui prêtait plus guère d'attention.

Levant sa main au dessus de ses yeux, comme pour les protéger d'une trop forte clarté, elle regardait les étoiles, et son rire clair s'éleva doucement vers le firmament, accueilli par leur scintillement glacé et muet.

Ses sabots fendus s'enfonçaient dans le sable de la plage, y laissant des empreintes prestement estompées par les vagues les plus hardies. A gauche, une forêt s'étendait à perte de vue et l'attirait irrésistiblement, à mesure qu'elle remontait en biais le long de la plage. Avant de s'enfoncer dans les bois, elle voulait goûter sous son pied les étendues sablonneuses, ressentir l'exaltation de la course. Elle piétina un instant sur le sol et se cabra sur ses pattes arrière avant de filer droit devant, les bras largement écartés pour embrasser le vent. Les trois temps de son fol galop rythmaient la marche de son coeur et de son souffle, et elle rit de nouveau à perdre haleine, ivre de vitesse et de vie, en foulant du sabot les vagues qui s'empressaient de se retirer sur son passage.

PNJ

[ce pnj a été tiré au sort]

Une douce nuit s'était étendue sur le pays, accompagnée d'un vent léger entre les arbres, bruissant d'un chant calme. Le jour et la nuit présentent la forêt sous une beauté différente... Parfois dangereuse, parfois aimante, son visage était changeant comme la lune.
Ce soir la palmeraie berce la nature d'un chant envoûtant. Parmi ces créatures écoutant ses voix, s'endormant entre ses bras, se tien dans une clairière une silhouette à genoux. Comme le pénitent s'incline, remercie pour les bienfaits qu'on lui apporte, elle a le front sur la terre et le sourire aux lèvres. Elle semble murmurer quelques confessions à la mousse qui se répand sous elle, comme un tapis duveteux et accueillant.
Le papillon se déploie doucement sous un rayon de lune, perçant entre les feuillages mouvants qui dansent à ses côtés. La finesse de ses ailes de soie révèle des écailles de couleurs vives et chatoyantes, au milieu de la nuit bleutée teintée d'argent.
Avec grasse, la créature au visage féminin redresse le buste. Ses mains prennent doucement place contre ses genoux. Elle ouvre alors devant elle un regard et un sourire infini se dessine sur ses lèvres... Intérieurement elle remerciait la nature pour ce calme qu’elle lui offrait et la nourriture qu'elle dressait devant elle.
Certaines fleures sucrées ne s'ouvrent qu'à la nuit tombée, la lune les incitant à déployer leurs coroles légères et fines.
La jeune femme se leva au centre de la petite clairière, profitant encore de ce rayon lunaire. Le souffle lui apportait la fraîcheur de vagues lointaines... et elle décida d'aller contre la brise, jouant avec elle entre les arbres avant de respirer pleinement l'espace ouvert de la plage.
Arrêtant sa course de ses pieds nus dans le sable, elle se dresse sur la pointe des orteils, laissant sa silhouette prendre prise au vent.

Mais parmi ce nouveau chant de la nature, un martellement sourd interpella son attention. Se complètent avec la respiration de l'océan, comme un cœur palpite.
La jeune femme replia lentement ses ailes contre son dos et détourna un regard sur la plage, redescendant sur ses talons en découvrant l'arrivée d'une créature étrangère. Elle-même était sobrement vêtue de voiles légers, aussi fins que la soie de ses ailes. Sa chevelure flamboyante ondulait dans son dos, ternie par la nuit, tout comme son sourire s'éteint sur son visage pour laisser place à la curiosité méfiante.

Naufragé

Sous les sabots noirs et menus, le sable humide de vagues volait en gerbes éparses à mesure que de son galop furieux, Eld'rath avalait les distances comme si la fatigue pouvait n'avoir aucune prise.
Déjà, elle s'était fort éloignée de l'endroit de son Premier Eveil, et la ligne courbe de la plage s'étendait encore à perte de vue, bordée non loin par celle d'arbres d'aspect étrange, tout en tronc, longs et sinueux, couronnés à leur extrémité par une corolle de larges feuilles.

Quand soudain elle perçut...

...l'éclatante vision d'une crinière rousse.

Emportée par son élan, Eld'rath tressaillit violemment, et dans un effort surhumain freina sa course des quatres fers, emportant sous ses pieds une large traînée de sable qui s'éleva en poussière tout autour, tandis que des mains elle dégageait son arc de son buste et encochait une flèche, rapide et précise, pour la pointer toute bandée vers la menace.

Les almes rais de l'astre l'enveloppaient tout entière, alors que ses yeux verts, tels deux immenses émeraudes, perçaient le voile nocturne pour lui révéler la présence de l'intruse. Les flancs d'Eld'rath s'élevaient et retombaient en cadence, à mesure que son coeur tempétueux reprenait le rythme mesuré de la nuit, mais son arc ne tremblait pas, pas davantage que le bras qui l'armait, et pointait infailliblement dans la direction de l'apparition en bordure de forêt.
Une brise monta de la mer, et sa crinière ondoya doucement sous sa caresse, dans le tintement ténu des décorations d'os et de coquillages qui s'y mêlaient délicatement. Une fois. Puis une autre.

Alors Eld'rath abaissa imperceptiblement son bras d'arc et murmura sans conviction : "Shân-shiir ?"

Sous les rayons de la lune, elle distinguait la créature comme en plein jour. Ses yeux de vive émeraude s'arrêtèrent sur l'éclat irisé des ailes, puis s'abaissèrent en direction de ses pieds nus dans le sable. L'éclat d'un trouble le disputa sur le visage d'Eld'rath à une détermination farouche, et il sembla un instant qu'elle allait libérer son trait et le laisser filer droit vers le coeur du papillon pour le clouer à un arbre. Elle n'en fit rien pourtant, et abaissant tout à fait son arc, dés-encocha la flèche à pointe de silex pour la replacer parmi ses soeurs dans le carquois qui pendait à son flanc, avec au visage une expression de sincère commisération. Sur l'un des bois qui s'élevaient de son front vers l'arrière de son crâne, un papillon de nuit épuisé vint se reposer de la longue peine qu'il avait eu à suivre le galop effréné, et ses longues ailes s'abaissaient et se relevaient délicatement, comme mesurant en cadence la lente alternance d'un souffle.

A pas prudents, Eld'rath remonta doucement la langue de plage qui séparait le lit des vagues de la verte lisière de la palmeraie en direction du papillon roux. Ses mains étaient légèrement écartées, paumes vers le ciel, dans une attitude pacifique. Sur ses lèvres pâles, un éclat de lune trembla sous l'écho d'un murmure de paix. Son visage n'affichait plus qu'une peine sincère tandis qu'elle se rapprochait plus encore, et que l'astre luisant, venant jouer dans les crins épars de sa crinière d'argent disséminée par le vent, paraissait déposer sur son front et ses cornes une couronne d'étoiles.

PNJ

Les doigts de pieds nus de la jeune femme s'enfonçaient doucement dans le sable, avant de s'y crisper en même temps que le reste de son corps.
Au galop, la silhouette avait brusquement stoppé sa course d'un mouvement souple et violent. Le cœur de la jeune femme sembla se figer à ce même instant, alors que son souffle roulait entre ses lèvres comme le flot calme des vagues de l'océan.
A ce moment elle aurait souhaité se faire plus petite que ses cousins de la nuit, aussi terne et légère pour se fondre dans l'obscurité et faire oublier à cette créature qu'elle eut existé.
Tétanisée par la peur ses ailes de soies frissonnèrent, ses doigts à ses cuisses se recroquevillèrent et ses lèvres tremblèrent en se déliant d'un souffle coupé.

Un mot étrange frémi dans l'atmosphère. Une arme fut pointée contre elle. Et la jeune femme descendit lentement sa silhouette jusqu'à s'accroupir dans le sable, ne pouvant détacher de grands yeux apeurés de la créature qui la m’était en joue. Était-ce la fin? Allait-elle enfin finir sur un tableau de chasse comme ses congénères?
De sombres pensées l'assaillirent, plutôt que l'ensemble de sa vie résumée.

Un léger tressaillement lui fit redresser le buste, ses mains sur ses genoux, ses coudes repliés contre ses flancs. Elle venait de voir l'un de ses cousins de poser sur les bois de la créature devant elle. L'arme s'abaissa, le danger se dissipa... Avec le doute, qui figea une humidité dans ses yeux, la jeune femme peina à se relever, l'émotion tenant ses jambes aussi molles que le sable qui le retenait.
Une fois debout, le cœur manquant de flancher, elle hésita a reculer d'un pas à l'approche de l'étranger... Rien ne la ferait fuir, elle avait trop peur de tourner le dos.
L'avancée apaisante de la créature, exprimant avec le corps son désarrois et son excuse, calma la jeune fée. De ses doigts et de ses pieds, la chaleur s'était dérobée. Son souffle se fit plus haletant alors qu'elle mesurait l'ampleur du danger qui s'était évaporé...

L'astre nocturne révélait la scène de rayons froids mais teintés d'un argent finement ciselé, respectueux et léger.
Le corps de la fée suivit enfin le mouvement de son âme tranquillisée puis elle demanda:

"Je suis Aurore... Une fée de l'automne qui a eu la curiosité de visiter la nuit..." sa voix légèrement tremblotante se ressaisit "et vous qui êtes vous?"
Ses ailes se déplièrent légèrement dans son dos, décrispant ce qui les tenait contractés au plus fin contre son échine.

Naufragé

"Je suis Aurore... Une fée de l'automne qui a eu la curiosité de visiter la nuit..."

Les longues oreilles d'Eld'rath frémirent légèrement au son de cette voix nouvelle avant de s'apaiser et de plonger de nouveau sous le couvert de sa lourde crinière. Lentement, alors que ses sabots prenaient enfin pas sur la terre plus dure sous les arbres, elle posa un genou au sol devant le papillon roux, puis l'autre, avant de s'installer tout à fait, reposant sur l'un de ses flancs. Le pinceau fin de sa queue s'enroula le long de son corps, tandis que sa patte avant droite demeurait repliée et que son corps de femme restait droit, le visage levé vers celui de la fée.
Etirant ses bras vers Aurore, elle s'empara doucement de ses épaules pour l'attirer vers elle, et son emprise était solide mais affectueuse, pareille à celle d'une mère pour son enfant. Ses mains avaient une fraîcheur accueillante où il faisait bon se blottir, ne serait-ce qu'un instant.

Avec une infinie douceur, elle installa la fée sur ses pattes avant repliées, l'invitant à se reposer sur l'un de ses bras. D'une main, elle attira sa tête tout contre son épaule nue, là où l'odeur étrangement pénétrante et familière de la chimère se mêlait au parfum de l'iode qui imprégnait sa crinière depuis sa course sur la plage. Tout en la manipulant comme on le fait d'un blessé, Eld'rath prenait grand soin de ne pas abimer les ailes délicatement ouvragées, et s'assura que rien ne pouvait les accrocher par mégarde.
"Nay...Shân-shiir nay..." murmura Eld'rath, une expression affligée sur la figure, tandis qu'elle étreignait la fée contre son coeur, et l'examinait sous tous les angles d'un oeil attentif. Ses doigts blancs, fins et déliés effleurèrent les écailles vives des ailes de soie, suivant sans la toucher l'une des nervures principales, avant de s'attarder sur l'un de ses voiles. La chimère elle même n'avait pour tout vêtement que sa crinière et la lumière des étoiles, et la sensation polie sous son doigt amena sur les lèvres d'Eld'rath un sourire enfantin. Avec d'infinies précautions enfin, elle effleura le bras d'Aurore, et la perplexité voila de nouveau l'éclat de ses yeux émeraude.

Cette expression étrange sur la figure de la chimère paraissait conclure l'examen, et l'étreinte de ses bras mollit légèrement, giron accueillant et doux, dont la fée pouvait si elle le souhaitait se détacher ou profiter à loisir.
"H'aksha nay ?"
C'était une question, murmurée dans un souffle à l'oreille de la fée. Du moins en avait-elle le ton, si le sens en restait abstrut. Le mot était dur, si tranchant dans la bouche d'Eld'rath qu'on eut pu craindre s'y blesser, bien que la sincère sollicitude de son visage estompât pour beaucoup la rudesse de cette sonorité.
Qu'elle l'ait comprise ou ignorée, Eld'rath elle même avait laissé la question d'Aurore en suspens sans y donner suite, et le mystère de son nom demeurait inavoué, tandis qu'elle levait les yeux vers le repli des palmiers, dont chaque doux balancement sous la brise étaient une invitation muette, et une tentation.

Le papillon nocturne prit son envol depuis le bois où il s'était suffisamment reposé, et s'envola à tire d'aile vers des ombres de plus en plus profondes jusqu'à disparaître tout à fait aux regards. Un frémissement courant le long de sa robe moirée de lune, Eld'rath paraissait prête à s'élancer sur ses traces, et pourtant elle n'en fit rien, immobile encore, alors que tout son être se tendait vers ce nouvel horizon.

PNJ

Le sable, sous les pieds de la fée aux cheveux roux, n'était pas bien profond... Dans son dos, s'élevait proche, la forêt de palmiers assombris par la nuit, ondulant sous la brise, chantante d'une voix frémissante. A quelques pas derrière elle s’étendait la terre qui retenait les racines de la nature prolifique de l'île.
Les yeux de la jeune femme, d'une couleur vert de lac, suivirent les mouvements calmes de la créature étrangère qui passa derrière elle, s’allongeant sur le flanc d'une façon douce et légère.
Aurore se retourna pour ne pas perdre le contact, en attente face au silence qui se reposait à sa question. Mise d'avantage en confiance, face au calme elle se rapprocha, l'esprit préoccupé par une interrogation.
*Est-ce qu'elle me comprend seulement...* le mot étranger qu'elle avait prononcé, ce retour de présentation qui ne venait pas, lui laissaient entrevoir la difficulté qu'elle allait éprouver à échanger avec l'étrangère.

Aurore se pencha légèrement vers la chimère, prenant appui de ses mains contre ses genoux.
Ses lèvres se délièrent sous un souffle sucré, s’apprêtant à prendre la parole... Mais deux mains s'approchèrent de ses épaules pour l'amener contre son buste. Les jambes d'Aurore fléchirent et son corps se laissa entrainer vers l'inconnue...
Elle avait la double impression d'être en paix avec ce qui la tenait blottit ou d'être tombée dans la toile d'une araignée fredonnant d'une voix douce. Le regard de la fée restait figé sur le vague, bercé par le vent, le souffle de la marée et la voix aux sonorités étranges de la créature.
Ses ailes fragiles se replièrent au plus fin contre son échine voûtée... L'effleurement des doigts qui parcouraient son dos et son bras achevèrent d'endormir les sens de la jeune fille. Elle s'enferma comme dans le cocon de sa mère nourricière... les battements de son cœur s'alignant avec celui de l'océan.
Depuis son arrivée sur l'île, éperdue et solitaire, hors de ses sœurs et de sa reine, la jeune fée avait espéré ressentir à nouveau cette protection presque maternelle qui la tenait endormi durant la saison estivale, avant de s'éveiller la veille de l'automne.

La créature qui la tenait contre elle était douce et dégageait un parfum légèrement salé par les embruns. Aurore, émanait plutôt une essence de térébenthine, liée à sa fleur l'Asters... comparable à la fragrance du pin.
Mais dans ce tourbillon de tranquillité qui berce la jeune femme, un changement opère et ses yeux s'éveillent à la réalité. Redressant le buste en sentant la prise mollir autour de ses épaules, elle observe de face l'étrangère, cherchant une traduction dans son regard. La question murmurée, légèrement tranchante, n'avait pas trouvé de sens dans son esprit...
Le papillon nocturne s’envola, détournant l'attention de la fée un instant.
Puis ses yeux retombèrent contre ceux de la créature, une détresse naissant au fond de ses iris.

Aurore avait perdu son lien à la Nature en échouant sur cette île, elle n'avait plus la même sensibilité avec Elle depuis... Le temps passant elle renouait lentement, pensant subir une punition qui la privait de son contact vital. S'exprimer avec une créature de cette même Nature était devenu difficile...
Les doigts de sa main droite agrippèrent doucement l'une des épaules plus hautes de l'étrangère, son regard ne décroissant pas de l'expression du danger qui s'y déployait. Mais cette intention n'était pas liée à son rapport passé de leur rencontre... Aurore voulait expliquer que cette Nature, ici sur cette île, était différente.
"Attend..." murmura-t-elle en s'agenouillant face à la créature.
"Tu ne sais pas ce qui t'attends là-bas..." la jeune fille pressa son buste contre celui de l'étrangère, passant son visage par dessus l'une de ses épaules.
"Je me suis perdue dans la Nature, ne t'égare pas à ton tour... Elle est si différente de mon univers... Plus traîtresse et dangereuse.
Parle-moi..." Elle ferma les yeux dans un souffle, sentant son cœur se serrer d'une tristesse remplaçant le danger qu'elle avait exprimé. Il palpitait dans sa poitrine et contre celle de la créature, d'un martellement lourd et lent.

Naufragé

L'instant d'égarement cessa du moment où Aurore pressa son corps contre celui d'Eld'rath. Alors que la courbure fine du menton de la fée s'appuyait contre son épaule, l'ondoiement des muscles bandés sous sa robe s'arrêta tout à fait.

Les oreilles mobiles sous la crinière frémissaient doucement à chaque parole de la petite créature. Bien qu'étrangère à sa langue, Eld'rath ne pouvait manquer de reconnaître le désarroi dans sa voix comme dans ses gestes. Un désarroi qui l'eût laissée de marbre face à une autre créature. Mais elle ressentait dans celle ci l'écho d'un même rêve, une impression de familiarité secrète dont elle ne pouvait se défaire. N'avait-elle pas répondu à l'harmonie de sa voix, sans même en comprendre le sens, n'avait-elle pas pour un instant partagé la paix au creux de son sein ?

Eld'rath enfouit son visage dans sa crinière rousse, pour y puiser l'arôme de l'aster. Tout contre son sein, le coeur de la fée palpitait en écho aux battements lourds qui résonnaient sourdement dans sa propre poitrine, graves et lent comme une cloche de bronze, cadencés pour mesurer les longues courses sans jamais faillir. Et elle se souvint.
Elle se souvint des forêts noires, et si denses que les rayons de la lune ne pouvaient en toucher le sol. Pareils à des jambes d'ombre et de lumière, les rais qui crevaient les nuages marchaient au faîte des arbres et ne s'arrêtaient qu'au coeur des clairières, où son sommeil sans rêve était bercé par le murmure des sources qui s'écoulaient goutte à goutte sur les pierres moussues et sinuaient lentement en ruisseaux cristallins dans une cuvette de grès polie par les éons.

Elle cilla, et esquissa de ses lèvres l'ombre d'un murmure apaisant. La brise ne descendait ici pas des cieux mais montait de la mer. Avec pour seule limite l'horizon, la lune marchait sans entraves, et même le couvert des arbres ne parvenait pas à estomper tout à fait sa lumière. Là où la lune allait, elle marchait sans peur. Ses bras se refermèrent autour de la taille gracile de la fée, s'assurant de ne point toucher aux ailes délicates, et l'enlevèrent là comme un fétu de paille sans autre forme de procès.
Aurore avait prononcé des mots, et bien que leur sonorité sonnât étrange à ses oreilles, Eld'rath ne pouvait se méprendre sur la crainte que lui inspiraient ces lieux. De nouveau, le même murmure apaisant. Ses paroles avaient-elles seulement un sens ? Leur sonorité se contentait d'inspirer la paix de l'âme, l'espoir peut être. Les mots en étaient enveloppants, sûrs.

Eld'rath se releva sans lâcher la fée, une patte après l'autre. Un tapis de feuilles de palmier jaunies étouffait sur le sol le son clair de ses sabots. Un long ébrouement partant de sa nuque s'étira le long de son échine jusqu'à secouer ses flancs et sa robe blanche pour terminer à la pointe en pinceau de sa queue, dans un froissement brusque aussi violent que bref.

Alors, s'enfonçant dans la pénombre du sous-bois, Eld'rath emporta la fée à la rencontre de leur destin.

PNJ

Le souffle remontait de l'océan, léger, calme et variable comme l'onde qui se rependait et se retirait de la plage. L'étreinte d'Aurore, contre le buste de la créature, était à la fois douce et crispée... d'une force faible à sa condition de fée, dont le physique fragile ne peut exprimer de violence.
Elle aurait souhaité témoigner d'avantage cette envie de déverser sa tristesse, qu'elle gardait au fond de son cœur et que la nature apaisait en lui offrant quelques chants doux à ses oreilles.
Elle se sentait si isolée que ce contact physique déliait une partie de son âme, qui ne pouvait partager seul ou avec cette nature sourde à ses prières.
Alors Aurore sentit la créature se redresser et ce ne fut plus elle qui s'accrochait à ses épaules, mais bien l'étrangère qui la serrait contre sa taille. Elle se retrouvait donc debout devant elle, sur la pointe des pieds.
La fée était assez petite, avoisinant le mètre cinquante. De son visage lisse et innocent, cette taille la mettait au rang de petite fille aussi fragile qu'une aigrette, prête à être dissipée au moindre souffle amené avec un peu de brutalité.

Observant sans un mot la créature s'ébrouer elle observa à ses pieds le sol avancer.
"Attend où tu vas... Tu... tu ne sais pas..." demanda-t-elle d'une souffle inquiété.
Agitant son visage de tout côté, les mains sur les épaules de l'étrangère elle ajoute en plongeant son regard dans le sien:
"Pourquoi m’emmènes-tu avec toi?"

La palmeraie se refermait derrière elles, le souffle de l'océan s'éloignant, le vent entre les arbres se raréfiant au fur et à mesure de la rencontre des troncs qui le dissipait.